Domaine Forget with ACO

2005-08-01 / Le Soleil / Richard Boisvert

Surprise australienne
Angela Hewitt et l’Orchestre de chambre australien séduisent au Domaine Forget

Les gens se sont présentés nombreux, samedi soir au Domaine Forget, attirés sans doute par la présence d’Angela Hewitt en tête d’affiche et savourant à l’avance les deux Concertos de Jean-Sébastien Bach inscrits à son programme. Ce qu’ils ne pouvaient prévoir, c’est à quel point l’Orchestre de chambre australien et son directeur, le violoniste Richard Tognetti, les feraient craquer.

Angela Hewitt a bien sûr été très appréciée. Avec élégance, entrain et souplesse, la pianiste a donné toute sa musique de mémoire, gracieuse et souverainement belle, ensorcelante même, et réalisant une fusion remarquable avec ses partenaires.

Sur scène, ni chef ni baguette. La direction musicale est plutôt l’affaire du violon solo, Richard Tognetti, qui s’assure d’une mise en place bien nette et bien précise. On note chez les cordes l’utilisation très judicieuse du non vibrato” qui permet d’obtenir un son droit et franc qui laisse s’exprimer la couleur naturelle du bois.

Orchestre et soliste s’entendent à merveille. Dans les faits, Angela Hewitt donne plusieurs indications depuis le clavier. Au besoin, un simple regard lui suffit pour se faire comprendre. La musique de Bach, ainsi libérée de toute préoccupation étrangère, s’épanouit selon sa propre nature et en se suffisant à elle-même. Le choix du piano moderne reste un facteur bien marginal en regard de l’efficacité de l’exécution.

Rappelée à l’issue de sa prestation, Angela Hewitt a offert une Sonate de Scarlatti dans le style qu’on lui connaît, c’est-à-dire joliment nuancé et avec panache.

Le concert s’était auparavant ouvert sur une transcription d’un Prélude de Brahms, une oeuvre aux couleurs automnales propice au développement de la sonorité. L’ensemble à cordes ne s’en est pas privé et a effectivement couvert une gamme impressionnante de nuances avant de conclure sur un accord comparable en puissance à celui d’un grand orgue. L’espace d’un instant, la salle Françoys-Bernier s’est transformée en cathédrale.

L’Orchestre de chambre australien s’est à coup sûr gagné de nombreux admirateurs lors de son passage dans Charlevoix et pas seulement à cause de la présence dans ses rangs d’un Québécois, le contrebassiste Maxime Bibeau. Il y a dans la démarche de cet ensemble, dans sa façon de jeter un regard neuf sur la musique, quelque chose de sincère, qui touche directement l’auditoire.

Il faut entendre comment, après la pause, les musiciens s’emparent du Quatuor en fa de Ravel, quelle substance ils osent ajouter à cette oeuvre plutôt aérienne, comment ils la secouent et l’articulent, et puis quelle touche féerique ils lui ajoutent également.

La même spontanéité se perçoit dans le mouvement final du Smith’s Alchemy du compositeur australien Carl Vine, une pièce à mi-chemin entre le feu d’artifice et la bacchanale qui donne à la fin du programme un caractère féroce presque sauvage.

Au rappel, l’ensemble prolonge le plaisir et l’éleve encore d’un degré en présentant un arrangement ô combien raffiné de l’Oblivion de Piazzolla. L’esprit du tango, si galvaudé de nos jours, descend sur la salle, magnifié et transcendé, et la plonge tout entière dans un climat de volupté. L’élan du désir, cet empressement véritablement amoureux qu’on sentait jadis chez le bandonéoniste argentin, on le retrouve tel quel dans le jeu de Richard Tognetti. Dans sa relation avec son violon, le musicien atteint un point quasi-orgasmique. Sans l’ombre d’un doute, l’auditoire vit cela comme le moment culminant du concert.”