Tour with the Australian Chamber Orchestra

2005-07-23 / Le Soleil / Richard Boisvert

L’enjeu de la perfection
Angela Hewitt a tout risqué pour Bach

Angela Hewitt a voyagé jusqu’à l’autre bout du monde pour enregistrer les deux derniers disques de son intégrale Bach. À première vue, l’entreprise semblait pas mal risquée. Mais le risque, paraît-il, est la condition de tout succès.

C’est intrigant car, à Londres, les bons orchestres ne manquent pas. En bonne Londonienne qu’elle est maintenant devenue, la pianiste originaire d’Ottawa aurait dû trouver là celui qu’il lui fallait pour enregistrer les Concertos de Jean-Sébastien Bach et ainsi clore sa volumineuse collection consacrée à sa musique pour clavier. Les circonstances en ont décidé autrement. À sa grande satisfaction.

Angela Hewitt, voyez-vous, est une perfectionniste endurcie. Sa discographie le prouve avec éloquence. La demi-mesure, connaît pas. Les instrumentistes ne jouent pas à son goût ? Qu’on les vire de son studio. Et qu’on emmène ceux qui, comme elle, n’ont pas peur de suer pour toucher leur idéal.

C’est finalement en Australie que la musicienne a trouvé la formation dont elle rêvait. Pourquoi si loin ? Simple, dit-elle. Les Australiens sont les meilleurs.” Enfin, pas tous les Australiens, mais un petit groupe de musiciens connu sous le nom d’Orchestre de chambre australien. La formation rappelle beaucoup Les Violons du Roy par sa taille et par sa flexibilité. Elle compte d’ailleurs un musicien montréalais dans ses rangs, le contrebassiste Maxime Bibeau.

En passant, Angela Hewitt a déjà envisagé enregistrer avec Les Violons du Roy, mais il semble que Bernard Labadie ne voulait rien entendre de Bach au piano moderne. Dommage.

“J’ai longtemps cherché l’orchestre qui correspondait le plus à mon style, indique-t-elle. J’en ai essayé plusieurs en Angleterre et en Europe, sans succès. En mai 2004, j’ai fait une tournée avec les Australiens. Je les avais déjà entendus en concert et j’aimais beaucoup leur volonté et leur musicalité. L’expérience a été extraordinaire. En février dernier, nous avons organisé une nouvelle tournée en Australie et c’est à ce moment que nous avons fait le disque. Le résultat est encore meil-leur que je le prévoyais.”

Effectivement, cet enregistrement des Concertos BWV1052 à 1058, du Brandebourgeois no 5 en ré majeur et du Triple en la mineur, paru tout récemment en deux volumes sous étiquette Hyperion, révèle une exécution nette, précise et franche, fruit d’une pensée vive et rigoureuse qui semble ne laisser aucune prise au compromis.

“Je voulais quelque chose de très spécial, un disque, qui durera des années”, souligne la musicienne qui admet avoir pris un grand risque pour obtenir ce qu’elle désirait. “L’ingénieur de son ne connaissait pas la salle. Ensuite, il fallait envoyer là-bas tout l’équipement d’enregistrement depuis l’Allemagne. Enfin, on devait s’assurer de trouver un piano sur place.”

Jeu très soudé

Visiblement, Angela Hewitt a su trouver des partenaires à la mesure de son tempérament. Le jeu très soudé rappelle tout à fait les prestations qu’elle offre au concert et qui reposent sur une conception très participative et très collégiale de l’interprétation. C’est un peu comme si le soliste et l’orchestre étaient traités sur un pied d’égalité, comme s’ils étaient toujours aussi importants l’un que l’autre.

“C’est exactement cela, dit-elle. C’est encore plus vrai dans les Concertos de Bach, qu’il faut considérer à mon avis comme de la véritable musique de chambre.”

Parmi les particularités de l’Orchestre de chambre australien, il faut noter qu’il joue sans chef attitré. Ce rôle est plutôt joué par son premier violon, Richard Tognetti. Pour la pianiste, cela fait toute la différence. “Les musiciens doivent s’écouter entre eux et aussi m’écouter. Ils ne sont pas là pour regarder un chef qui les dirige. Ça donne de bons résultats. En tournée, ça se voit. Ils mettent de la joie dans leur interprétation. On a beaucoup de plaisir ensemble. On est devenu de bons amis.”

À l’occasion de leur voyage en Amérique du Nord, Angela Hewitt et ses “amis” seront justement de passage à la salle Françoys-Bernier du Domaine Forget, samedi prochain. Deux des concertos récemment enregistrés, le ré majeur, BWV 1054, et le sol mineur BWV 1058, figurent notamment au programme.

Angela Hewitt poursuit par ailleurs ses projets personnels. Elle a désormais son propre festival annuel de musique, à Trasimeno, en Italie. Organisé au début de juillet, l’événement comptait six programmes différents en sept soirs, du récital au concerto en passant par la musique de chambre. La deuxième présentation est déjà en chantier.

Du côté du disque, son troisième album Couperin doit sortir en octobre. Il sera suivi en janvier du lancement d’une intégrale de la musique pour piano d’Emmanuel Chabrier.

Enfin, en septembre, l’infatigable pianiste entreprend l’enregistrement d’une toute nouvelle série consacrée aux Sonates de Beethoven. Elle prévient toutefois qu’il ne s’agira pas cette fois d’une intégrale !”